L’époque voudrait nous convaincre que la modernité, c’est fini. Qu’il faut en revenir aux canons, et au bon vieux récit, celui qui plaît, celui qui enchante le public. Comme si rien ne s’était passé, précisément, avec ces avant-gardes dont on ne peut pourtant contester qu’elles ont animé le XXe siècle.
Revenant sur l’histoire de la modernité et sur les définitions qui en ont été données, Philippe Forest analyse la façon dont, ces trois dernières décennies, l’idée s’est imposée d’une littérature ayant à se réconcilier avec elle-même afin de se réconcilier avec le monde. Sous couvert d’un plaisir de lecture qui aurait été malmené par des expériences formalistes ou autres, on serait désormais invité à la répétition du même, puisque tout aurait été dit, et excellemment dit. Et si, au contraire, tout restait à dire, sans cesse ?
À contre-courant du bruit journalistique et de l’académisme ambiant, l’auteur nous invite à questionner les conditions de possibilité d'une parole littéraire qui ne renonce pas à l'exigence moderne. Ce questionnement concerne davantage que le strict champ de l'esthétique et emporte avec lui toutes sortes de conséquences – notamment une conception de la culture devenue une chose inessentielle et presque dérisoire.
« Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée Troiè. Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ; et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux, sur la mer, pour sa propre vie et le retour de ses compagnons. Mais il ne les sauva point, contre son désir ; et ils périrent par leur impiété, les insensés ! ayant mangé les boeufs de Hèlios Hypérionade. Et ce dernier leur ravit l'heure du retour. Dis-moi une partie de ces choses, Déesse, fille de Zeus.
Tous ceux qui avaient évité la noire mort, échappés de la guerre et de la mer, étaient rentrés dans leurs demeures ; mais Odysseus restait seul, loin de son pays et de sa femme, et la vénérable Nymphe Kalypsô, la très noble Déesse, le retenait dans ses grottes creuses, le désirant pour mari. Et quand le temps vint, après le déroulement des années, où les Dieux voulurent qu'il revît sa demeure en Ithakè, même alors il devait subir des combats au milieu des siens. Et tous les Dieux le prenaient en pitié, excepté Poseidaôn, qui était toujours irrité contre le divin Odysseus, jusqu'à ce qu'il fût rentré dans son pays. »
L'Odyssée est au programme du Bac 2023.
Quand les livres ont-ils été inventés ? Comment ont-ils traversé les siècles pour se frayer une place dans nos librairies, nos bibliothèques, sur nos étagères ? Irene Vallejo nous convie à un long voyage, des champs de bataille d'Alexandre le Grand à la Villa des Papyrus après l'éruption du Vésuve, des palais de la sulfureuse Cléopâtre au supplice de la philosophe Hypatie, des camps de concentration à la bibliothèque de Sarajevo en pleine guerre des Balkans, mais aussi dans les somptueuses collections de manuscrits enluminés d'Oxford et dans le trésor des mots où les poètes de toutes les nations se trouvent réunis. Grâce à son formidable talent de conteuse, Irene Vallejo nous fait découvrir cette route parsemée d'inventions révolutionnaires et de tragédies dont les livres sont toujours ressortis plus forts et plus pérennes. L'Infini dans un roseau est une ode à cet immense pouvoir des livres et à tous ceux qui, depuis des générations, en sont conscients et permettent la transmission du savoir et des récits. Conteurs, scribes, enlumineurs, traducteurs, vendeurs ambulants, moines, espions, rebelles, aventuriers, lecteurs ! Autant de personnes dont l'histoire a rarement gardé la trace mais qui sont les véritables sauveurs de livres, les vrais héros de cette aventure millénaire.
Il y a plusieurs façons de ne pas être quelqu'un. L'une d'elles, la plus humaine sans doute, c'est d'être une non-personne. Mais qui désigne-t-on ainsi ? La question serait triviale si les non-personnes étaient rares ou d'une seule nature. En vérité, elles sont nombreuses et diverses. Le pari de ce livre est que l'on peut néanmoins en distinguer trois types.
Il est d'abord question de l'absent, ce sujet sans corps, institué durant un temps variable lorsque quelqu'un quitte son domicile sans revenir comme attendu. Dans une configuration inverse, on rencontre les individus qui, tout en étant présents, sont privés d'une part de leur personnalité sociale, juridique ou politique, tels les parias, les condamnés ou les bannis. Enfin, on s'interroge quant au statut singulier du cadavre, qui défie la distinction entre chose et personne.
En passant de la littérature à la philosophie et des mythes à l'histoire du droit, des fantômes de l'Antiquité et du Moyen Âge aux hors-la-loi modernes, cet essai redécouvre les vies et les aventures de Gulliver, de Peter Schlemihl, du colonel Chabert et de bien d'autres encore. Ce faisant, il se penche aussi sur les pratiques et sur les croyances collectives, sans omettre ces rites, parfois ludiques, par lesquels adultes et enfants se comptent et s'exceptent du décompte.
Avec son légendaire talent de conteur, Michel Butor raconte l'histoire de la littérature française comme vous ne l'avez jamais lue : La Fontaine et Racine, Perrault et Chateaubriand, Proust et Céline, mais aussi la naissance du roman, l'Orient et ses fées, l'utopie, les métamorphoses de l'alexandrin ou encore les poètes de la Résistance...
Au fil d'échanges vivants et malicieux, cette figure majeure du Nouveau Roman restitue chaque auteur dans son époque, explique le mouvement qu'il a incarné.
Chez Butor, tout pétille. Il nous invite ici à une véritable fête de l'esprit.
"Je cherche une secrétaire qui sache pour moi de quarante à cinquante façons écrire non." Cette imploration, presque désespérée, résume à elle seule les lettres de Henri Michaux réunies par Jean-Luc Outers. Il n'y est question que de refus : les demandes d'interviews, les adaptations scéniques de ses textes, les anthologies, les colloques ou les numéros de revues qui lui sont consacrés, les rééditions, y compris en livre de poche ou dans la Bibliothèque de la Pléiade, les conférences et commémorations, les prix littéraires, les publications de photos...
C'est à tout cela, qui n'est plus la littérature mais son institution sinon son décorum ou le carnaval médiatique qui l'agite, que Henri Michaux n'a cessé de s'opposer sa vie durant. Alors qu'on le poursuit sans répit, il cherche l'ombre, il se cache. Il part en croisade contre la "vedettomanie", multipliant les lettres dont la production s'intensifie à mesure que s'accroît la notoriété. "Du moins que je ne finisse pas gavé de mon propre nom", écrira celui qui n'éprouvait que dégoût pour toute forme de reconnaissance. Plutôt qu'une litanie monocorde de refus, ces lettres frappent par leur singularité et leur style souvent cinglant et drôle : elles instaurent, à leur manière, une philosophie du non.
Alphonse Allais (1854-1905)
"On se rappelle la fâcheuse aventure de ce collectionneur d'objets macabres, funèbres et criminalistes dont la plus belle pièce - le faux col d'une victime célèbre - fut lavée, empesée, repassée par une chambrière zélée, mais peu documentaire.
Pareille aventure arriva, voilà tantôt quelques années et même un peu plus, à un vieux gentilhomme que je connaissais, et qui s'appelait le marquis de Bois-Lamothe.
Un rude homme dans son temps que le marquis !
Riche, solide, beau gars, inlassable trousseur de jupes, craignant pas Dieu et camarade du diable, Bois-Lamothe était la terreur de tous les maris des voisinages.
Je dis des voisinages, au pluriel, car le marquis, alors grand propriétaire foncier en même temps que nature frivole et baladeuse, changeait de voisinage comme de chemise.
Hélas ! on ne peut pas être et avoir été, comme l'a si bien observé Francisque Sarcey, notre oncle à tous.
Le marquis de Bois-Lamothe avait vieilli, ses anciennes bonnes amies aussi.
D'hypothèques en licitations (?), les biens domaniaux du marquis s'étaient envolés aux quatre vents des enchères publiques.
Ses écus avaient tellement sonné qu'une aphonie cruelle s'en était suivie, et tant trébuché que l'oeil le plus exercé n'en trouvait plus trace, hormis pourtant dans la bourse des autres."
Recueil de 29 histoires courtes, loufoques, fantasques et parfois cyniques du maître de l'humour de la fin du XIXe siècle.
En février 1943, Claude-Edmonde Magny écrit cette Lettre sur le pouvoir d'écrire à Jorge Semprún. Dans son « homélie » adressée au « jeune poète », elle explique avec force en quoi consiste le pouvoir d'écrire : « Écrire est une action grave, qui ne laisse pas indemne celui qui la pratique. Une fois engagé dans cette voie, il n'est pas de retour en arrière qui soit possible - pas plus d'ailleurs que lorsqu'on est engagé dans un progrès spirituel quelconque. » Elle conclut : « Mon cher Jorge, je ne saurais trop vous conseiller de réfléchir avant de vous consacrer tout entier à un exercice si vain, si dangereux, et qui mesure si implacablement le degré de réalité spirituelle auquel il a été donné à l'homme de parvenir. »
Jorge Semprún ne lira cette lettre que deux ans plus tard, en 1945, à son retour de Buchenwald. Elle l'accompagnera sa vie durant.
Adaptation Studio Flammarion