Littérature française / Premiers échos de la rentrée littéraire
-
J'ai voulu y croire, j'ai voulu rêver que le royaume de la littérature m'accueillerait comme n'importe lequel des orphelins qui y trouvent refuge, mais même à travers l'art, on ne peut pas sortir vainqueur de l'abjection. La littérature ne m'a pas sauvée. Je ne suis pas sauvée.
Neige Sinno lit elle-même son texte, insufflant une force supplémentaire à son bouleversant récit autobiographique.
Prix Femina 2023
Prix Ginkgo 2024 -
Un fils apprend au téléphone le décès de son père. Ils s'étaient éloignés : un malentendu, des drames puis des non-dits, et la distance désormais infranchissable.
Maintenant que l'absence a remplacé le silence, le fils revient à Trappes, le quartier de son enfance, pour veiller avec ses soeurs la dépouille du défunt et trier ses affaires. Tandis qu'il débarrasse l'appartement, il découvre une enveloppe épaisse contenant quantité de cassettes audio, chacune datée et portant un nom de lieu. Il en écoute une et entend la voix de son père qui s'adresse à son propre père resté au Maroc. Il y raconte sa vie en France, année après année. Notre narrateur décide alors de partir sur les traces de ce taiseux dont la voix semble comme resurgir du passé. Le nord de la France, les mines de charbon des Trente Glorieuses, les usines d'Aubervilliers et de Besançon, les maraîchages et les camps de harkis en Camargue : le fils entend l'histoire de son père et le sens de ses silences. -
« Le grand feu, c'est celui qui m'anime, et me consume, lorsque je joue du violon et lorsque j'écris. »
Léonor de Récondo
En 1699, Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d'étoffes, à Venise. La ville a perdu de sa puissance, mais lui reste ses palais, ses nombreux théâtres, son carnaval qui dure six mois. C'est une période faste pour l'art et la musique, le violon en particulier.
À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnées en leur épargnant infanticides ou prostitution. On y enseigne la musique au plus haut niveau et les Vénitiens se pressent aux concerts organisés dans l'église attenante. Cachées derrière des grilles ouvragées, les jeunes interprètes jouent et chantent des pièces composées exclusivement pour elles.
Ilaria apprend le violon et devient la copiste du maestro Antonio Vivaldi. Elle se lie avec Prudenza, une fillette de son âge. Leur amitié indéfectible la renforce et lui donne une ouverture vers le monde extérieur.
Le grand feu, c'est celui de l'amour qui foudroie Ilaria à l'aube de ses quinze ans, abattant les murs qui l'ont à la fois protégée et enfermée, l'éloignant des tendresses connues jusqu'alors. C'est surtout celui qui mêle le désir charnel à la musique si étroitement dans son coeur qu'elle les confond et s'y perd.
Le murmure de Venise et sa beauté sont un écrin à la quête de la jeune fille : éprouver l'amour et s'élever par la musique, comme un grand feu. -
Les deux héros de ce « roman sans fiction » semblent avoir vécu plusieurs existences. Le jeune avocat londonien Mohandas Gandhi en redingote noire et chapeau haut-de-forme devint l’infatigable marcheur vêtu de drap blanc, tandis que Pandurang Khankhoje, lui aussi militant indépendantiste indien, bourlingua un peu partout dans le monde, du Japon à la Californie, combattant révolutionnaire au Moyen-Orient pendant la Première Guerre mondiale, par la suite exilé au Mexique et proche de la petite bande de Diego Rivera et de Frida Kahlo. Il deviendra alors un scientifique célèbre, mènera des recherches en agronomie comme Alexandre Yersin, le personnage principal de Peste & Choléra venu en Inde lors de la grande épidémie de peste.
Le« samsara » définit la grande roue des vies successives à travers la réincarnation. Et c’est bien dans une grande roue que nous entraîne Patrick Deville dans ce nouveau roman, vaste fresque peinte tambour battant, sur un rythme haletant, de l’Inde coloniale puis indépendante, à travers les deux figures fil rouge de Gandhi le pacifiste, et plus encore de Khankhoje le révolutionnaire cosmopolite.
C’est pendant une autre épidémie, récente, que le narrateur parcourt un pays devenu le plus peuplé du monde, depuis les contreforts de l’Himalaya jusqu’à la pointe extrême du sous-continent, à Kanyakumari au sud du Tamil Nadu. Il rencontre des historiens et des géographes, des écrivains et des étudiants, et grâce à eux essaie de comprendre un peu l’histoire des bouleversements souvent terribles qui se sont enchaînés, depuis l’installation du Raj britannique à Calcutta dans les années 1860 jusqu’à nos jours. -
Il est quand même tard pour appeler, je me rabats sur un SMS. Je dis à Nadia que je viens d'apprendre pour Alexandre et que je suis stupéfait, c'est le mot que j'emploie, il ne convient peut-être pas très bien mais j'ai du mal à trouver une formule adaptée. S'il était mort ou s'il avait subi un accident, ça viendrait facilement. On sait comment s'adresser à l'entourage des victimes, on sait quoi dire à ceux qui vont mal, à ceux qui souffrent. Mais qu'est-ce qu'on écrit à la femme d'un assassin ?
-
Dans toutes les histoires d’amour se rejouent les blessures de l’enfance : on guérit ou on creuse ses plaies.
Pour comprendre la nature de sa relation avec Guillaume, Clotilde Mélisse observe les souvenirs qu’elle sort de sa tête, le temps d’un voyage en train direction Heidelberg. Tandis que par la fenêtre défilent des paysages de fin du monde, Clotilde revient sur les événements saillants de son existence. La découverte de la poésie dans la bibliothèque maternelle, le féminicide parental, l’adolescence et ses pulsions suicidaires, le diagnostic posé sur sa bipolarité. Sa rencontre, dix ans plus tôt, avec Guillaume, leur lien épistolaire qui tenait de l’addiction, l’implosion de leur idylle au contact du réel.
Car Guillaume est revenu, et depuis dix-sept mois Clotilde perd la raison. Elle qui s’épanouissait au creux de son célibat voit son cœur et son âme ravagés par la résurgence de cet amour impossible. La décennie passée ne change en rien la donne : Guillaume est toujours gay, et qui plus est en couple. Aussi Clotilde espère, au gré des arrêts de gare, trouver une solution d’ici le terminus. -
Le Château des Rentiers
Agnès Desarthe
- Olivier (L')
- Littérature Française
- 18 Août 2023
- 9782823619522
En levant les yeux vers le huitième étage d’une tour du XIIIe arrondissement de Paris, Agnès rejoint en pensée Boris et Tsila, ses grands-parents, et tous ceux qui vivaient autrefois dans le même immeuble. Rue du Château des Rentiers, ces Juifs originaires d’Europe centrale avaient inventé jadis une vie en communauté, un phalanstère.
Le temps a passé, mais qu’importe puisque grâce à l’imagination, on peut avoir à la fois 17, 22, 53 et 90 ans : le passé et le présent se superposent, les années se télescopent, et l’utopie vécue par Boris et Tsila devient à son tour le projet d’Agnès. Vieillir ? Oui, mais en compagnie de ceux qu’on aime.
Telle est la leçon de ce roman plein d’humour et de devinettes – à quoi ressemble le jardin d’Éden ? quelle est la recette exacte du gâteau aux noix ? qu’est-ce qu’une histoire racontée à des sourds par des muets ? –, qui nous entraîne dans un voyage vertigineux à travers les générations. -
« J'entends par western un endroit de l'existence où l'on va jouer sa vie sur une décision. » C'est à cette éternelle logique de l'Ouest que se rend Alexis Zagner, « la gueule du siècle », poussé par l'intuition d'un danger. Comédien renommé qui devait incarner Dom Juan, il abandonne brusquement le rôle mythique et quitte la ville à la façon des cow-boys - ceux-là qui craignent la loi et cherchent à fondre leur peur dans le désert.Qu'a-t-il fait pour redouter l'époque qui l'a pourtant consacré ? Et qu'espère-t-il découvrir à l'ouest du pays ?Pas cette femme, Aurore, qui l'arrête en pleine cavale et semble n'avoir rien de mieux à faire que retenir le fuyard et percer son secret.Tandis que dans le sillage d'Alexis se lève une tempête médiatique, un face à face sensuel s'engage entre ces deux exilés revenus de tout, et surtout de l'amour, qui les désarme et les effraie.Dans ce roman galopant porté par une écriture éblouissante, Maria Pourchet livre, avec un sens de l'humour à la mesure de son sens du tragique, une profonde réflexion sur notre époque, sa violence, sa vulnérabilité, ses rapports difficiles à la liberté et la place qu'elle peut encore laisser au langage amoureux.
-
En 2022, en pleine crise de l'hôpital, Camille Cambon, médecin légiste vaillante et brillante, reçoit un mail énigmatique. Il y est question du peintre Goya et de son crâne volé après son inhumation à Bordeaux en 1828, et dont on a depuis perdu la trace. D'abord portraitiste officiel de la cour, aimé des puissants, le maître espagnol devint, à la suite d'une maladie, l'observateur implacable et visionnaire des ténèbres de l'âme humaine.
Les parents de Camille et son parrain, neurologue, se sont passionnés pour l'oeuvre de Goya, avant de devenir des scientifiques de renommée internationale.
Camille part rencontrer à Bordeaux sa mystérieuse correspondante, une ancienne directrice de théâtre qui a bien connu ces trois-là, alors étudiants en médecine, dans les années 1960, et semble tout savoir de leur obsession partagée pour Goya. Une quête effrénée, entre passion scientifique et déraison, où chacun a pris toutes les libertés et tous les risques, au point de s'y brûler les ailes.
Du siècle des Lumières à la création d'une société secrète de médecins, Les Alchimies est une fresque captivante sur l'origine du génie, les amitiés qui ressemblent à l'amour, les pouvoirs obscurs et merveilleux de l'art.Sarah Chiche est écrivaine. Après Les Enténébrés (2019) et Saturne (2020), qui l'ont révélée à un large public, Les Alchimies est son cinquième roman. -
Déserter
Mathias Enard
- Éditions Actes Sud
- Littérature de langue française
- 23 Août 2023
- 9782330181642
Quelque part dans un paysage méditerranéen orageux familier et insaisissable, en marge d'un champ de bataille indéterminé, un soldat inconnu tente de fuir sa propre violence. Le 11 septembre 2001, sur la Havel, aux alentours de Berlin, à bord d'un petit paquebot de croisière, un colloque scientifique fait revivre la figure de Paul Heudeber, mathématicien est-allemand de génie, disparu tragiquement, resté fidèle à son côté du Mur de Berlin, malgré l'effondrement des idéologies.
La guerre, la désertion, l'amour et l'engagement... le nouveau roman de Mathias Enard - vif, bref, suspendu - observe ce que la guerre fait au plus intime de nos vies. -
« J'écris de la prison qu'est mon corps et de la cellule où on l'a enfermé. J'écris d'un pays geôlier et d'une époque à camisole exigeant des femmes qu'elles engendrent et punissant celles qui y faillissent. J'écris pour que nous nous souvenions qu'il n'en a pas toujours été ainsi.»
Dans le monde de la narratrice, la liberté des femmes à disposer de leur corps n'existe plus, l'interruption volontaire de grossesse est considérée comme un homicide aggravé, avortement et fausse couche confondus.
Histoire de femmes en insurrection, de solidarités obstinées, de luttes anciennes à recommencer, MURmur raconte la régression et la répression de ce droit élémentaire, mais aussi le courage d'y résister et la détermination à se révolter.
Caroline Deyns vit et enseigne à Besançon.
D'un style inventif, fait de phrases courtes, percutantes d'où surgit et rugit la poésie d'une langue révoltée, son travail d'écriture a été surtout reconnu depuis la publication et le succès (14500 exemplaires) de Trencadis (Quidam, 2020), un grand roman sur Niki de Saint Phalle, puissant, féministe et iconoclaste, salué par les libraires et la presse, et qui reparaît aujourd'hui dans la collection poche de Quidam, Les Nomades. -
Et vous passerez comme des vents fous
Clara Arnaud
- Éditions Actes Sud
- Littérature de langue française
- 23 Août 2023
- 9782330182328
Au cours d'une saison d'estive, les attaques répétées d'une ourse ravivent les tensions dans une vallée pyrénéenne. Tentant de s'abstraire des débats, Alma, une éthologue, et Gaspard, un berger, communient avec la montagne, mêlent leur existence à celles des bêtes. Sur ces terres où l'homme et l'animal sont intimement liés, l'histoire d'un jeune montreur d'ours parti faire fortune à New York, un siècle plus tôt, résonne tragiquement avec le présent.
-
Il est 7h30, sur le pont de Bondy, au-dessus du canal. C'est un de ces lundis de janvier où l'on s'attend à ce qu'il neige, même si ce n'est plus arrivé depuis très longtemps. Sous l'autoroute A3 qui enjambe le paysage, un carrefour monstrueux, tentaculaire, sera bientôt le théâtre d'une altercation dont les conséquences vont enfler comme un orage, jusqu'à devenir une émeute capable de tout renverser. Nous la voyons grossir depuis le lycée voisin où nous suivons, au fil des cours et des récréations, la vie et le destin de Mo et de Sara, de leurs amis, mais aussi de Candice, la prof de théâtre, de ses collègues et de Paul, l'écrivain qu'elle a fait venir pour un atelier d'écriture.
Tout au long de cette journée fatidique, chacun d'entre eux devra réinventer le sens de sa liberté, dans un ultime sursaut de vie. -
"L'automne. J'y décelais une invitation inédite à remettre à l'heure les aiguilles de mon présent. Après l'hiver, plus rien ne serait jamais figé."
Un étudiant sans véritables attaches, plus enclin à rêver sa vie qu'à la vivre, se prend la réalité de plein fouet quand sa tante lui révèle les circonstances précises du suicide de sa mère un matin de septembre gare de Lyon. Il avait six ans alors. Cette annonce l'expulse de son quotidien immobile et l'ébranle : mais que faire d'une vérité pareille ? Chercher à la comprendre en rencontrant quelques vieilles amies qui ont connu sa mère à l'époque ? Chercher à s'en éloigner en franchissant une frontière, celle de la boîte du Hangar, où les fantasmes de garçons s'assouvissent enfin loin et tard dans la nuit ?
Tout est soudain possible ou nécessaire dans ce Paris qu'il traverse comme on traverse le passé. Il est peut-être temps de quitter les nuits imaginaires et d'avoir le courage de se jeter "pour la beauté du geste, la tête la première dans le grand bain". -
Le 8 janvier 2020, le vol 752 d'Ukraine International Airlines reliant Téhéran à Kiev s'écrase six minutes après le décollage, entraînant la mort des 176 passagers
et membres d'équipage. Ce crash survient dans un contexte de tensions extrêmes entre l'Iran et les États-Unis. À travers l'histoire de sa cousine Niloufar Sadr, présente à bord de l'appareil, Négar Djavadi relate cette tragédie.
Traumatisme national, la chute du PS752 est l'un des événements annonciateurs du mouvement révolutionnaire qui s'est emparé de l'Iran à l'automne 2022.