Sciences humaines
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Fracassée comme tant d'autres après le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, l'auteur voit son monde s'effondrer. Elle dont la mission consiste à porter la souffrance des autres sur ses épaules et à la soulager par ses mots, se trouve soudain en état de sidération, impuissante et aphasique.
Dans la fièvre, elle écrit alors ce petit traité de survie, comme une tranche d'auto-analyse qui la fait revenir sur ses fondements existentiels.
Le texte est composé de dix conversations réelles ou imaginaires : conversation avec ma douleur, conversation avec mes grands-parents, conversation avec la paranoïa juive, conversation avec Claude François, conversation avec les antiracistes, conversation avec Rose, conversation avec mes enfants, conversation avec ceux qui me font du bien, conversation avec Israël, conversation avec le Messie.
Ce livre entre en résonnance avec Vivre avec nos morts (puisqu'il s'agit ici, a contrario, de l'angoisse de mourir avec les vivants), avec Réflexions sur la question antisémite (puisque c'est le pendant personnel, intime et douloureux à l'essai plus intellectuel et réflexif) et à Il n'y a pas de Ajar (puisque la musique, le ton, la manière des dialogues oraux font écho à ceux du monologue théâtral).
Comme toujours avec l'auteur, le va et vient entre l'intime et l'universel, entre l'exégèse des textes sacrés et l'analyse de la société actuelle, entre la gravité du propos et l'humour comme politesse du désespoir, parvient à transformer le déchirement en réparation, l'inconfort en force, l'inquiétude en réassurance et le doute en savoir. -
Là où la terre ne vaut rien
Ted Conover
- Editions du Sous-Sol
- Feuilleton non Fiction
- 2 Février 2024
- 9782364687004
En mai 2017, Ted Conover se rend dans la vallée de San Luis (Colorado) afin d'étudier un mode de vie particulier qui consiste à vivre de peu, et à se tenir à l'écart des courants dominants. Les lotissements de l'énorme vallée rendent cela possible. Des terrains de cinq hectares dans la plaine peuvent être achetés pour cinq mille dollars, parfois moins.
Après une première exploration l'auteur devient bénévole pour une association locale venant en aide aux habitants et aux sans-abris. Il rencontre ainsi la population de ce lieu : des vétérans, des familles repliées sur elles-mêmes, des toxicomanes, des amateurs d'armes à feu et de marijuana, des personnes souffrant d'anxiété sociale - la plupart rejettent la charité et cherchent l'autonomie.
Dans un second temps, Ted Conover achète un terrain et s'immerge pendant près de quatre ans dans cette culture controversée de l'extrême périphérie. Il découvre un monde et ses contradictions : ne pas aimer le gouvernement mais dépendre de ses subventions ; aimer son espace propre mais se retrouver toutefois mêlé aux affaires des autres ; être généreux mais se méfier des voleurs ; endurer la misère mais apprécier la beauté des lieux. Il nous parle de ces hommes et ces femmes, de leur lutte pour s'entendre et survivre, au coeur d'une Amérique déchirée par la différence.
Une Amérique des laissés-pour-compte et de ceux qui ont décidé de quitter la société pour solde de tout compte. -
Amateur d´art. Alias Caracalla 1946-1977
Daniel Cordier
- Gallimard
- Témoins
- 25 Janvier 2024
- 9782073015204
Daniel Cordier a eu plusieurs vies. Alias Caracalla se poursuit donc après la guerre. L'ancien secrétaire de Jean Moulin se tourne vers l'art. Il commence une collection avec des oeuvres de De Staël ou Hartung, puis ouvre des galeries à Paris, New York et Francfort, où il expose Dubuffet, Rauschenberg et la fine fleur des surréalistes. Il voyage aussi et nous fait vivre deux séjours mouvementés dans l'Union soviétique des débuts de la déstalinisation. Sur un dernier coup d'éclat, il ferme sa galerie parisienne et se lance dans deux tours du monde pour écrire une histoire universelle de l'art avec Stéphane Hessel. Mû par un besoin d'engagement et d'action toujours aussi présent, il envisage de reprendre les armes pour défendre la République contre les factieux de l'Algérie française, et mêle expositions provocatrices et militantisme pour l'art contemporain jusqu'à se trouver enrôlé dans la création du Centre Beaubourg.
Des pages inédites et illustrées de la vie de Daniel Cordier, fidèle à lui-même : combatif, passionné, sincère et drôle. -
Cet ouvrage rapporte les expériences d'un universitaire français en immersion dans des groupes de combattants ou de volontaires en Syrie (2012-2018) et en Ukraine (2022-2023), qui cherche à comprendre comment un individu ordinaire, c'est-à-dire non préparé à la guerre, accepte de tuer et de mourir pour des raisons politiques. En approchant la vie quotidienne de ces engagés volontaires, leur vécu intime, leurs passions, leurs déterminations, leurs tiraillements et parfois leurs hésitations ou leurs renoncements, l'auteur décrit la guerre à hauteur d'hommes, au milieu des explosions et de leur cortège de destructions, plongé dans le tunnel noir de la violence et d'une réalité à chaque instant mouvante. Partout, il relève cette constante : la guerre ne fait pas que traumatiser les hommes, elle commence par les enchanter, par captiver leurs sens et gonfler leurs espoirs, avant de les lasser puis de les enfermer dans un monde clos, rempli de désespoir et de haine. Témoin embarqué au coeur de deux guerres de notre temps, l'auteur de cette enquête propose ici une réflexion inédite sur la façon dont elles transforment ceux qui la vivent, et sur ce que ces enfermements dans la violence disent des troubles de notre époque tout comme de la difficulté de vivre la paix.
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1492 a subjugué le monde. On retient de l'aventure de Christophe Colomb sa « découverte » d'un continent providentiel, révélant à la fois les merveilles sans fin de la terre et la capacité inédite des hommes à s'affranchir des frontières et des entraves. Mais l'invention de l'Amérique fut plus qu'un récit : elle consacra un nouveau rapport à la nature et aux hommes qui vit alors capital et race s'unir irrémédiablement.
Ce livre raconte ainsi la longue histoire de ce qu'on nomme aujourd'hui le « capitalisme racial », créature à deux têtes qui fut décrite et combattue de longue date par des marxistes hétérodoxes anticolonialistes, de Rosa Luxemburg à W. E. B. Du Bois, des Antilles aux terres amérindiennes. À l'aune de leur pensée et des humanités environnementales et alors qu'il est convenu d'opposer luttes de classe et revendications raciales, Sylvie Laurent exhume la tradition intellectuelle riche et méconnue du dépassement de ce clivage.
On redécouvre alors que, tant le personnage de Robinson Crusoé que Voltaire, Adam Smith et Tocqueville, ont forgé ce capitalisme historique arrimé à la domination raciale. Les États-Unis, leur horizon, sont également dévoilés : bien loin de la terre disponible à l'infini et des libertés du marché, ils sont en réalité l'empire du capitalisme racial. Il était temps que Karl Marx et Martin Luther King se retrouvent enfin.___SOMMAIREIntroduction. Karl Marx et Martin Luther King : la rencontreLivre 1 Origines
Chapitre 1. L'invention de l'Amérique ou le devenirmonde du capital
Chapitre 2. Naissance de la pensée racialeLivre 2 Institutions
Chapitre 3. La plantation
Chapitre 4. L'Académie
Chapitre 5. La multinationale
Chapitre 6. Le contrat colonialLivre 3 Récits
Chapitre 7. Robinson Crusoé, la parabole du capitalisme racial
Chapitre 8. De l'émancipation par le commerceLivre 4 Praxis
Chapitre 9. La mission civilisatrice du capitalisme
Chapitre 10. L'impérialisme réhabilité
Chapitre 11. Les structures élémentaires du capitalisme racialÉpilogue. TerritoiresNotes -
L’opposition entre amis et ennemis, amitié et haine est universelle mais elle se décline sous des formes très diverses selon les sociétés, entre valeurs contraires et pratiques de médiation, émotions et relations. Dans les sociétés occidentales qui se sont développées sur les ruines de l’Empire romain, la guerre et l’honneur d’un côté, le christianisme de l’autre, ont été des facteurs d’identité collective et de puissants marqueurs sociaux. Selon les cas, les historiens ont décrit des sociétés de face à face, des sociétés de vengeance, mettant l’accent sur la faiblesse des régulations étatiques, ou au contraire des sociétés fluidifiées par l’amitié entre les élites et l’amour divin. Culture de la haine, de la violence ou culture de l’amour et du pardon ? Sociétés prédatrices ou sociétés du don ? Ce livre refuse ces dichotomies réductrices, comme les oppositions genrées et sexualisées qui ont été introduites au XIXe siècle entre amour et amitié, sentiments (ou sensibilité) et relations, nature et culture. Conçu dans une perspective anthropologique et décentrée, il considère que la personne médiévale n’existe que par ses relations et ses identités multiples, superposables et interchangeables, avec les vivants et les morts, ici-bas et au-delà. Par une relecture des sources et des exemples concrets, le livre s’attache ainsi à faire comprendre comment les femmes et les hommes du haut Moyen Âge vivaient et exprimaient leurs relations affectives et comment ils pensaient leur monde.
Professeure émérite à l'université Panthéon-Sorbonne, Régine Le Jan s'intéresse en particulier à l’histoire des élites et des femmes avec une approche croisant histoire et anthropologie. Elle a notamment publié : Histoire de la France : origines et premier essor, 480-1180 (Hachette, 2000), Les Mérovingiens, (Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 5é éd., 2024). -
À l'université comme en politique, des courants radicaux traversent la scène mondiale - approche décoloniale, mouvement woke, etc. Jean-Frédéric Schaub les étudie en profondeur dans ce livre. Il examine ce qu'implique la contestation du modèle occidental de domination issu d'un passé colonialiste européen et de l'universalisme des Lumières. Mise au service de la construction de l'État-nation ou rejetée à ce titre par des mouvements militants porteurs d'identités et de conflits hérités, l'histoire en vient à masquer le passé au nom des intérêts du présent. L'histoire changerait-elle au gré de ceux qui en font le récit ? Jean-Frédéric Schaub veut lui redonner son autonomie scientifique et son indépendance intellectuelle. Se défiant des instrumentalisations, il explore les questions de la mémoire, de la vérité et de l'objectivité, et prône un universalisme méthodologique. Sur le modèle européen, sur la colonisation et la race, sur les tentations du roman national, il défend le caractère scientifi que de la recherche en histoire. Analysant les façons d'écrire l'histoire, il montre quelle est sa fonction dans la société et apporte un éclairage inédit à des débats brûlants. Jean-Frédéric Schaub est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Spécialiste de l'histoire moderne, de la race et de la colonisation, il a enseigné à Yale, Oxford, New York, Tokyo, Buenos Aires, Séville, La Havane et Mexico.